Rencontre avec le réalisateur Martin Jauvat
Aujourd’hui, Artistik Rezo part à la rencontre de Martin Jauvat. Sélectionné par le jury du festival de Clermont-Ferrand pour son film Le Sang de la veine. Parallèlement Martin travaille sur son premier long métrage Grand Paris.
Tout d’abord, félicitations pour ce premier long métrage Grand Paris en préparation. C’est assez rare de voir des cinéastes avoir l’opportunité de réaliser leur premier long métrage à ce jeune âge ?
Franchement, c’est une galère à financer un long métrage, surtout en ce moment, comme tu peux sans doute l’imaginer. Je crois qu’on est assez peu nombreux à pouvoir faire des long métrages à mon âge, c’est sûr, mais j’ai la chance d’avoir rencontré Emmanuel Chaumet, mon producteur, qui n’a peur de rien. On a fait le film comme des pirates, avec les maigres moyens qu’on avait, sans attendre de cocher toutes les cases qui nous auraient permis d’avoir un véritable budget standard. Sinon, j’aurais sûrement dû attendre mes 40 piges et tu ne me poserais pas cette question, du coup.
Ton long métrage Grand Paris et ton court métrage Le Sang de la veine, sont réalisés à seulement quelques semaines d’intervalles, trouves-tu des similitudes dans l’approche que tu as de ces deux films ?
Le Sang de la veine c’est un projet qui s’est fait très rapidement : j’ai écrit le film pendant le premier confinement, et on l’a tourné direct après, quelques semaines plus tard, au milieu de l’été. On est pas du tout passés par tout ce circuit de financements qui m’a fait galérer sur Grand Paris, on l’a fait un peu comme ça, pour le fun. Surtout que moi je savais que j’enchaînais juste après sur un tournage très exigent avec Grand Paris, et je ressentais le besoin de me remettre en jambes, un peu comme un footballeur en manque de temps de jeu.
Le Sang de la veine, c’était royal comme tournage. On était à la cool pendant 3-4 jours dans le petit pavillon de banlieue qu’on avait loué à Chelles pour l’occasion. Tout roulait comme sur des roulettes, on avait un seul décor, on rigolait bien, et puis William et Anaïde sont très cools et marrants donc il y avait une super ambiance.
Grand Paris à côté c’était une galère, j’avais l’impression d’être Frodon Sacquet dans le Mordor. On avait plus d’une cinquantaine de décors différents à filmer en trois semaines, on devait tout le temps foncer d’un bout à l’autre de la banlieue, on n’avait jamais d’endroit où se poser, les comédiens se changeaient en speed dans une bagnole juste avant qu’on tourne les scènes, pour lesquelles on n’avait quasiment jamais d’autorisation de tournage. On filmait dans des gares, des bus, des RER, en pleine pandémie. Alors il fallait aller vite, ne pas se rater, et supporter les contraintes techniques des décors réels – et des annonces gouvernementales qui rythmaient le tournage. Au bout de vingt jours, ça pèse un peu sur le moral. En plus, je jouais un des rôles principaux, donc c’était archi stressant de ouf. Le Sang de la veine, à côté, c’était la colonie de vacances.
Martin, tu réalises Les Vacances à Chelles, Mozeb, puis Le Sang de la veine. Ces trois films se déroulent dans la ville de Chelles. Quel est ton lien avec ce lieu ? Pourquoi il a une place si importante dans ton cinéma ?
Moi, j’ai passé toute ma vie à Chelles, c’est l’endroit où j’ai grandi, où je vis encore aujourd’hui. Je me sens Chellois, c’est quelque chose qui fait partie de moi, qui a une influence très forte sur la façon dont je me suis construit. Je suis un pur mec du 77 et je le revendique à mort. J’aime cette ville, ses paysages, ses gens, son ambiance ultra particulière, sa bizarrerie, et en même temps le désespoir tranquille qu’on peut y ressentir. C’est un peu devenu le moteur de mon cinéma : tous mes films commencent toujours dans une forme d’ennui un peu rigolo et mélancolique. C’est une dimension de la banlieue parisienne qu’on ne met pas forcément en avant à l’écran, et qui m’inspire beaucoup, cette espèce d’ennui périphérique.
Le Sang de la veine est une romance très contemporaine et décalée. C’est une manière d’approcher ce sujet à contre-pied ?
J’aime beaucoup donner un langage très cru, avec beaucoup d’argot, à mes personnages. Je déteste les dialogues théâtraux, moi j’aime ce qui est ultra naturel, tous mes personnages s’expriment comme moi je parle avec mes potes, de bédav, de foot, de rap, etc. Et en même temps, j’ai un côté ultra “fleur bleue“, genre grave romantique. J’pense que c’est cette contradiction qui donne le ton très décalé du film.
Après, en règle générale, j’aime beaucoup jouer avec le “genre”, en respectant les codes pour mieux le déconstruire. J’aime bien le cuisiner à ma sauce banlieusarde et rajouter notamment des petites touches d’absurde et de mysticisme. Je ne suis pas partisan du contre-pied à tout prix, j’ai juste envie d’aborder chaque sujet de façon sincère et un tout petit peu originale, quand même. Sinon j’vois pas trop l’intérêt j’avoue, autant se caler devant Netflix, quoi.
Comment s’est passé cette collaboration avec William Lebghil et Anaïde Rozam, les deux acteurs principaux du film ?
William, c’est un comédien que j’adore depuis que j’suis petit, comme beaucoup de gens de ma génération. J’ai eu la chance de le rencontrer sur le tournage de Yves, réalisé par mon pote Benoît Forgeard, sur lequel j’étais stagiaire. On s’est assez vite bien entendu, il a beaucoup aimé mon tout premier court métrage autoproduit, Les Vacances à Chelles, et il m’a dit à ce moment-là que si un jour je pensais à lui pour un rôle il ne fallait pas hésiter – j’peux te dire que c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.
Anaïde, je l’ai rencontrée grâce à une amie directrice de casting, Kenza Barrah, pour un petit rôle dans Grand Paris. J’ai bien aimé jouer avec elle, je la trouvais drôle et réactive, alors j’ai pensé à elle à peu près directement en écrivant le rôle de Zoé. Je trouvais qu’elle matchait bien avec William, et j’avais envie de travailler avec elle. En plus, jusqu’ici, j’avais jamais vraiment écrit de personnage féminin, alors c’était un challenge pour moi, et elle m’a beaucoup aidé, elle a incarné le personnage avec beaucoup de tendresse et de caractère.
Ils sont tous les deux vraiment forts. C’est un plaisir de bosser avec des acteurs aussi souples, intelligents et drôles. C’était vraiment trop kiffant. Après, de toute façon, j’ai toujours eu de la chance avec les acteurs, quand tu vois Erwin et Georges dans Les Vacances à Chelles ou dans Mozeb, ils sont juste excellents. Vraiment, ils sont hilarants. Moi, la direction d’acteurs c’est vraiment un des aspects que je préfère donc je suis trop content d’avoir rencontré rapidement des comédiens aussi doués. J’suis un petit chanceux.
Où et comment peut-on voir Le Sang de la veine ?
Le Sang de la veine circule pas mal en festivals depuis sa sortie en janvier. Il a été sélectionné à Clermont-Ferrand, c’était trop cool, là il vient de faire Bordeaux, il va aussi être diffusé cet été à Côté Court, à Pantin, et même en Italie, en Calabre, je suis super content. T’as vu mon film il voyage beaucoup plus que moi, c’est pas juste hein, j’suis jaloux. Et à part ça, Arte l’a acheté entre-temps, donc sauf catastrophe il va être diffusé en direct et en replay courant mai sur leur chaîne – gros gros big up à Arte d’ailleurs.
Martin, quels sont tes projets à venir ?
Mes projets à venir c’est d’enchaîner sur un nouveau long métrage, un peu plus financé de préférence, histoire d’avoir plus de temps et de possibilités techniques pour creuser un peu ce que j’ai commencé à faire avec Grand Paris. Là, je viens de regarder la série WandaVision, qui se déroule dans une ville dortoir de banlieue américaine, j’ai trouvé ça excellent et super original, ça m’a fait kiffer à mort. J’aimerais bien aller plus loin dans le genre, et faire un film de baston, avec des bêtes de chorégraphies et tout, mais toujours dans mon univers de banlieue résidentielle.
Propos recueillis par Pablo Lamy
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